Partenariat Facebook — Autorité de protection des données personnelles au Bénin : « Lorsque vous n’avez pas les moyens de vous imposer, vous tentez de coopérer. »

sinatousaka
5 min readSep 15, 2020

L’Autorité de Protection des Données Personnelles est une institution béninoise créé par l’Etat en 2009. Dans une société de plus en plus connectée, sa mission est de veiller à la protection de la vie privée des citoyens. L’agence tente d’éduquer les citoyens au respect de leur vie privée et de celles de leurs concitoyens. Elle conseille aussi les entreprises en délivrant un certain nombre de recommandations dans le cadre du traitement des données personnelles des usagers. Son pouvoir est juridique et réglementaire. Entretien avec le Secrétaire Général de l’APDP, Zinsou Djima Ambroise.

Quelles sont les caractéristiques et spécificités des données personnelles au Bénin ?

Cela peut être des données non sensibles (noms, prénoms) et des données sensibles (religions, ADN, adresse). Ces données sont essentiellement diffusées via des réseaux électroniques. C’est donc aussi bien des informations en ligne que simplement via une infrastructure technologique comme c’est par exemple le cas des banques qui traitent des données de leurs clients. D’ailleurs, historiquement, nous étions intitulé « Commission nationale de l’informatique et des libertés ». Mais nous ne traitons pas des données. Nous recevons des requêtes de toutes personnes physiques et morales qui souhaitent traiter les données de ses utilisateurs.

Depuis notre création, nous avons délivré près de 300 autorisations. Cette année, nous avons enregistré une dizaine de plaintes qui concernent les données personnelles et plusieurs dossiers liés à la cybercriminalité, que nous transmettons aux agences publiques compétentes.

Au Bénin, la plateforme que nous suivons de près est la messagerie Whatsapp. Les requêtes préjudiciables du point de vue des données personnelles sont marginales sur les autres plateformes.

Comment vous solliciter ?

Si vous avez un traitement de données à effectuer, par exemple de votre clientèle vers un serveur en France, vous remplissez un formulaire. Sur la base de ce formulaire, nous traitons le dossier et nous vous délivrons une autorisation ou non. Cependant, le plus important, c’est le contrôle en aval, que nous effectuons pour nous assurer que le demandeur respecte bien toutes nos recommandations.

Comment faites-vous pour vous assurer que toutes les entreprises béninoises se conforment à vos règles ?

C’est essentiellement par le biais de la sensibilisation. Notre partenariat avec la CCIB (Chambre de Commerce et d’Industrie du Bénin) nous permet de leur rappeler à chaque fois leurs devoirs et obligations envers des usagers.

Quels sont vos enjeux en matière de données personnelles au Bénin ?

Le premier enjeu est celui de la sensibilisation qui démarre dans les écoles, les universités, les mairies et les arrondissements. Cette sensibilisation est aussi effective dans les médias et précisément dans les radios communautaires. Notre cible prioritaire est bien évidemment les jeunes qui sont très présents en ligne et qui ne sont pas toujours informés de ces enjeux liés à la vie privée. Pourtant, un étudiant informé, c’est toute une famille derrière qui est susceptible d’avoir l’information.

Quelles sont les difficultés que vous rencontrez ?

Nos pays n’ont pas les ressources qu’il faut pour atteindre les objectifs fixés même si nous avons des ressources humaines très qualifiées.

On nous dit aussi que nous ne sommes pas assez connus alors que nous communiquons via plusieurs canaux. En réalité, de nombreuses personnes ne s’y intéressent pas. Par exemple, un député nous a dit un jour qu’il n’était pas gêné que son image soit utilisé maintes fois sur les réseaux sociaux. Il oublie que cette image peut être déformée, sortie de son contexte et utilisée à des fins qui peuvent lui être préjudiciable. Notre mission à nous, c’est de leur dire qu’ils peuvent diffuser leur image mais en prenant des précautions. Nous avons des lois mais plusieurs personnes n’en tiennent pas compte. Les Béninois de l’étranger sont plus au fait de ces questions mais ceux qui sont dans le pays disent ne pas être au courant. Même certains parlementaires comprennent à peine la quintessence de ces lois sur les données personnelles.

Alors que les sanctions existent. Lorsqu’une personne enfreint le code du numérique ou lorsqu’une diffamation est prouvée, qu’elle porte atteinte à la vie privée du citoyen, vous encourrez entre 6 mois et 10 ans de prison ou/et une amende pouvant atteindre 10 millions de fcfa.

Quelles sont vos relations avec des plateformes comme Facebook et un pays comme le Bénin a-t-il les moyens d’avoir un réel partenariat avec ces plateformes ?

Nous ne sommes pas dans l’affrontement avec Facebook. Lorsque vous n’avez pas les moyens, vous allez en coopération avec les autres. Cette année, nous avons mené plusieurs activités avec Facebook. Lorsqu’un Béninois a des problèmes, nous avons la possibilité de solliciter notre interlocuteur privilégié à Facebook, basé à Dakar, pour supprimer par exemple un contenu qui diffame un utilisateur résident au Bénin.

Ce partenariat peut-il être réellement gagnant pour les deux parties ? Existe-t-il une convention signée ?

Nous n’avons pas encore reçu de requête à supprimer un contenu sur Facebook pour le moment. Pour la convention, nous sommes limités dans nos demandes auprès de ces plateformes. Nous n’avons pas les moyens d’exiger une convention légale puisque les autorités de Facebook estiment qu’ils dépendent uniquement des juridictions américaines et cette réalité nous empêche, avec nos faibles moyens de contraindre Facebook à quoi que ce soit. C’est la raison pour laquelle nous privilégions un partenariat. L’essentiel est que les Béninois soient protégés.

Nous sommes en pleine période Covid-19, de nombreux gouvernements prennent des mesures pour limiter la propagation du virus. Comment faites-vous pour éviter que ces mesures n’enfreignent la vie privée des Béninois ?

Nous travaillons dans un cadre. Nous avons rédigé pour l’Etat une note afin de l’informer qu’il ne peut pas publier les noms et prénoms des personnes malades par exemple. Aucune entreprise ou personnalité publique ne peut publier ce type de données sans notre autorisation. Le ministère de la santé s’est rapproché de nous. Les recommandations sont claires : les données doivent être anonymisées. Et dans le cas de certaines applications mobiles qui permettent de tracer les individus et d’identifier des cas suspects, certaines fonctionnalités doivent être étudiés, voire abandonnés comme cela a été le cas récemment. Finalement, cette application n’a jamais été exploité à ce jour.

Quels sont vos projets ?

Poursuivre la sensibilisation, notamment avec les points focaux, délégués à la protection des données personnelles, installés dans toutes les grandes entreprises publiques et dont la responsabilité est pleinement engagée en matière de protection des données personnelles au niveau national.

Par ailleurs, nous nous engageons à faire respecter le code du numérique du Bénin, lorsque certaines données des Béninois sont stockées à l’étranger.

Cet article a été écrit dans le cadre de la bourse média de l’organisation pour les droits numériques en Afrique Paradigm Hq.

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